Les exemples de médicaments développés à l’aide de l’intelligence artificielle (IA) se multiplient. Citons par exemple la molécule DSP-0038, développée par Sumitomo Dainippon Pharma en collaboration avec Exscientia et sa plateforme d’Intelligence Artificielle. DSP-0038 est un agoniste pour le récepteur 5-HT1A et un antagoniste pour le récepteur 5-HT2A, présenté comme sélectif et fait l’objet d’une étude clinique aux Etats . (Todd Wills, Septembre 23, 2022 ; « AI drug discovery: assessing the first AI-designed drug candidates to go into human clinical trials »; www.cas.org/fr/resources/cas-insights/drug-discovery/ai-designed-drug-candidates)
Les brevets US 11466007 B2 et US 10745401 B2, issus de la demande internationale WO 2020022237 A1, déposés au nom de Sumitomo Dainippon Pharma, ne diffèrent en rien des brevets couvrant traditionnellement les petites molécules thérapeutiques. En l’occurrence, de nombreux exemples et résultats de tests biologiques y sont inclus, regroupés sous une formule de Markush. De ce point de vue, l’IA ne semble pas influencer significativement la façon de protéger les molécules. Il ne semble pas réaliste à ce stade de s’affranchir d’une partie expérimentale fastidieuse, où les molécules doivent effectivement être synthétisées et testées au moins in-vitro, au profit d’une simulation résultant d’une IA. Le risque serait élevé de voir le brevet refusé ou invalidé.
Du coté d’Exscientia, plusieurs demandes de brevets couvrent des méthodes de design moléculaire, telles que la demande GB 2600154 A, où les molécules sont traitées selon leur sous-structure, la demande GB 2600687 A, s’appuyant sur les publications à disposition pour analyser un grand nombre d’informations, ou les demandes WO 2022167821 A1 et WO 2022084696 A1. De ce point de vue, l’approche ne diffère pas significativement de celle d’un chimiste médicinal traditionnel, qui s’appuie sur son expérience pour imaginer les groupes fonctionnels les plus prometteurs pour les cibles biologiques visées.
La similitude de DSP-0038 par rapport à d’autres molécules déjà décrites, par exemple dans les brevets US 5141930 A et US 6258805 B1, est d’ailleurs confirmée (Voir Todd Wills « AI drug discovery: assessing the first AI-designed drug candidates to go into human clinical trials »).
Du point de vue du développement technique, l’IA n’apparaît donc pas encore comme un moyen de concevoir la molécule idéale ex-nihilo. Elle semble néanmoins permettre de mieux cibler la synthèse des nouvelles molécules, de par le traitement d’un nombre considérable de données, et ainsi augmenter les chances d’obtenir un « lead » ou d’accélérer son obtention.
Du point de vue de la propriété intellectuelle, . Cet aspect mérite cependant d’être pondéré. Les acteurs maitrisant à la fois la chimie traditionnelle et les plateformes d’intelligence artificielle sont encore rares. Les industries pharmaceutiques doivent donc établir des partenariats, ce qui limite leur exclusivité sur les nouvelles technologies, non encore intégrées. Breveter des méthodes basées sur l’intelligence artificielle nécessite en outre de convaincre les offices brevets, en général assez réticents, ce qui est en soi une spécialité encore peu développée dans l’industrie pharmaceutique traditionnelle.
Considérant qu’un principe actif est couvert par un brevet unique, il convient de ne pas négliger les aspects connexes permettant de mieux le protéger. Les outils de conception basés sur l’intelligence artificielle représentent en ce sens une bonne opportunité, aux côtés des brevets traditionnels sur des dosages, des formulations ou applications thérapeutiques particulières du principe actif, visant à accompagner la vie du produit initial.
L’intelligence artificielle ne se cantonne pas à la conception des molécules en amont, mais investit plus ou moins toute la chaine de développement du médicament. Par exemple la conception des protocoles d’études cliniques et le traitement des données qui en résultent peuvent être significativement accélérés et améliorés. Plus en amont, l’IA est extensivement déployée pour identifier les gènes responsable de certaines pathologies et accélérer ainsi l’identification des cibles biologiques. Les différentes étapes du développement d’un médicament peuvent en soi faire l’objet d’innovations, sur la base des outils d’IA, et offrir ainsi des moyens de protection non négligeables.
Avec sa démocratisation croissante, l’IA en tant qu’outil pourra sans doute devenir une technologie de routine, similaire à l’utilisation d’un ordinateur ou d’un logiciel de nos jours. Cependant, dans l’immédiat, elle offre des opportunités pour consolider ses stratégies de protection par brevet et ouvrira certainement de nouveaux champs dans l’avenir.
Au-delà de la propriété intellectuelle, l’implication de l’IA dans le développement des médicaments est un facteur d’accélération non négligeable, avancé notamment pour expliquer l’émergence si rapide des derniers vaccins lors de la crise du COVID. A ce titre, elle offre un avantage concurrentiel indéniable au premier arrivé, qui se trouve gratifié de surcroît de l’exclusivité des données associées à l’autorisation de mise sur le marché.
Les outils d’IA peuvent donc contribuer à prendre une avance technologique, souvent plus décisive que les titres de propriété intellectuelle. Ils rouvrent en contrepartie des débats qui paraissaient clos depuis longtemps, tels que la désignation des inventeurs ou le caractère innovant de la molécule brevetée. Certaines juridictions semblent ouvertes à considérer l’IA comme co-inventeur, ou à accepter le créateur de l’IA comme inventeur (voir https://www.wipo.int/edocs/mdocs/scp/fr/scp_35/scp_35_7.pdf). Cependant, un résultat obtenu exclusivement au moyen de l’IA, sans intervention humaine, peut être considéré comme n’étant pas une invention, et par conséquent non brevetable, ou bien comme une sélection évidente sans activité inventive. Ce qui reste de mise est que dans le domaine des produits pharmaceutiques, les molécules revendiquées doivent bel et bien avoir été synthétisées et testées, au moins in-vitro, pour obtenir un brevet. L’IA n’est pas encore arrivée au stade de démontrer l’effet d’une molécule en remplacement de tels tests biologiques. La désignation des scientifiques comme inventeurs restent donc de rigueur.