Une revendication dite « produit » couvre un objet, défini par exemple par ses principales caractéristiques physiques ou l’arrangement de ses différents éléments entre eux. C’est ce que l’on a coutume de voir dans la plupart des brevets. Cependant dans le domaine des produits chimiques ou pharmaceutiques, appliquer strictement cette approche limiterait la portée des revendications à une molécule unique, laissant libre l’utilisation de tous les homologues susceptibles d’avoir des propriétés similaires. Cela annihilerait du même coup tout l’intérêt d’un brevet, dont l’un des objectifs est de conférer la protection la plus large possible. C’est donc l’une des spécificités de ce domaine de protéger un produit – une molécule dans ce cas – en définissant un groupe de composés, caractérisés par un ensemble de différents substituants. La revendication dite « produit » permet alors de couvrir un grand nombre de différents produits par une seule revendication. Le principe d’unité d’invention est dans ce cas préservée. Cette approche émane du brevet US 1506316 de 1924 de l’inventeur Markush et est depuis très largement acceptée par les offices brevets du monde entier. Dans quelle mesure la formule de Markush permet-elle une protection plus large ou plus solide qu’une revendication produit classique ?
Si le formalisme semble différent, les principes de base relatifs aux brevets restent les mêmes.
L’invention revendiquée doit en l’occurrence être nouvelle et inventive. Le groupe de produits décrits par la formule de Markush est considéré à cet effet comme un produit unitaire permettant de mettre en œuvre un concept inventif unique. Il en résulte que tout composé spécifiquement décrit dans l’art antérieur et couvert par la formule de Markush suffit à invalider la nouveauté de l’ensemble des produits couverts par cette formule de Markush. Il peut donc être contre-productif de vouloir étendre la protection de manière exagérée car les risques d’inclure des produits déjà connus augmentent d’autant. Il est en outre recommandé de prévoir des sous-groupes plus restreints, sur lesquels se rabattre pour restaurer la nouveauté. Notons à ce titre que des combinaisons particulières de substituants ne découlent pas automatiquement de l’ensemble et qu’elles doivent être explicitement mentionnées pour être ensuite valablement revendiquées. Il n’est pas rare de devoir inclure des disclaimers, voire des conditions positives visant à exclure des produits de l’ensemble.
L’ensemble des composés définis par la formule de Markush doivent en outre avoir les caractéristiques revendiquées. S’il reste possible de généraliser un résultat de test impliquant par exemple un groupe méthyl à un ensemble d’alkyls de 1 à 6 atomes de carbone, il ne peut être raisonnablement étendu aux hétérocycles et aux groupements aromatiques, dont les propriétés sont en général différentes. Il convient alors d’apporter suffisamment de résultats de tests qui soutiennent la diversité des substituants désignés par la formule de Markush. Le degré de généralisation admis reste largement à l’appréciation des offices brevets et peut faire l’objet de disparités. Alors que l’Europe accepte une généralisation raisonnable sur la base de résultats de tests représentatifs, d’autres offices, comme la Chine, tendent à restreindre la protection aux composés effectivement testés et ayant les propriétés revendiquées. Là encore, on s’expose à une invalidation de l’ensemble des produits décrits par la formule de Markush pour défaut de support ou manque d’activité inventive. Des positions de repli adéquates doivent donc être prévues.
Le concept inventif défini par la formule de Markush peut paraître à première vue un peu flou, dans la mesure où tous les produits qu’elle couvre peuvent ne pas être synthétisés ou même testés. Cependant, les exigences de clarté s’appliquent dans les mêmes termes que pour tout autre type de brevet. En l’occurrence, la définition de chacun des substituants doit être sans équivoque, ainsi que leur position, leur stéréochimie le cas échéant, et leurs éventuels substituants.
A titre d’exemple, le viagra® (le Sildenafil) représenté ci-dessous, est couvert par la formule de Markush du brevet EP0463756, déposé en 1991.
- Formule de Markush
- Viagra®
Cette approche, parfois décriée pour la très large portée de protection qu’elle peut conférer, n’en est pas moins soumises aux mêmes règles que toute autre demande de brevet. Elle nécessite en outre de produire une partie expérimentale complète qui démontre que chacun des produits spécifiquement revendiqué est effectivement obtenu et caractérisé par des analyses. Cette contrainte n’est pas aussi marquée dans les autres domaines techniques, où l’on considère d’emblée que l’homme de métier a facilement accès aux matériaux et à la mise en forme des produits revendiqués. L’approche encore trop souvent envisagée de ne pas décrire les résultats de test et les composés impliqués, pour éviter de donner trop d’information au public, est à proscrire, au risque de conduire au refus de la demande de brevet, ou plus tard à son invalidation.
Notons enfin que la formule de Markush est particulièrement adaptée au domaine de la chimie et plus encore au domaine pharmaceutique. Dans les autres domaines, les solutions techniques sont généralement bien appréhendées au moment de la rédaction de la demande de brevet – parfois même un prototype est déjà disponible – et les aspects essentiels de l’invention peuvent être décrits. Il en est autrement pour les molécules biologiquement actives. Des molécules peuvent être identifiées comme prometteuses sur la base de tests in-vitro sans pour autant que l’on puisse déterminer laquelle sera commercialisée comme médicament. Quantité d’autres analyses et développement doivent être faits, y compris les tests in-vivo et les essais cliniques, avant qu’une molécule devienne un médicament. Attendre l’identification du principe actif effectivement commercialisé compromet largement les possibilités de le protéger et n’interdit pas les concurrents d’utiliser des analogues. L’application d’une formule de Markush apparaît donc comme la meilleure définition du concept inventif, autorisant une protection en parallèle du développement du produit.
Si les principes généraux appliqués à une demande de brevet sont les mêmes quel que soit le domaine technique, leur application peut être très spécifique et peut largement conditionner les chances de succès.