Quelle protection conférée par le certificat complémentaire de protection (CCP) par rapport au brevet ?
de Franck Amiot
I. Introduction :
Le CCP s’est matérialisé en Europe par le règlement (CEE) n° 1768/92 du conseil du 18 juin 1992, dans l’objectif d’unifier les pratiques au sein de l’union européenne et de maintenir sur son territoire les activités de recherche pharmaceutique, susceptibles de migrer vers des pays offrant une meilleure protection. La Suisse adopte le plus généralement les pratiques issues des directives européennes. Les éventuelles divergences d’interprétation tendent à s’estomper, parfois au prix d’un revirement de jurisprudence, comme illustré par l’arrêt « Medeva » (C-322/10 du 24 Novembre 2011).
Le CCP offre une prolongation de la protection d’une substance pharmaceutique ou phytosanitaire couverte par un brevet et bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché, de sorte à compenser les délais nécessaires à l’obtention de mise sur le marché (AMM).
Le CCP n’est donc pas une prolongation de la validité du brevet en tant que tel, mais un complément de protection restreint au seul produit bénéficiant de l’AMM. Il obéit néanmoins aux mêmes droits que ceux du brevet de base. En particulier, le CCP fait l’objet d’une demande devant un office brevets, laquelle est examinée avant d’être délivrée. Elle est rendue publique. Le maintien en vigueur d’un CCP fait l’objet de taxes annuelles, à l’instar des brevets. La durée du CCP est cependant limitée à la durée nécessaire à l’obtention de l’AMM, jugée préjudiciable à l’exploitation du brevet de base, et limitée à cinq ans après l’expiration légale du brevet.
Le CCP est à présent régi en Europe par le règlement (CE) N°469/2009 du parlement européen et du conseil du 6 mai 2009. En outre, le règlement (UE) 2019/933 du parlement européen et du conseil du 20 mai 2019 tient compte des intérêts des fabricants de génériques et de biosimilaires.
Si le CCP est intimement lié au brevet duquel il découle, la protection qu’il confère n’est pas équivalente. Quelques spécificités sont exposées ici.
II. Aperçu des limitations de la protection par CCP par rapport au brevet
Bien que la procédure d’obtention d’un CCP soit régie par le règlement (UE) 2019/933 du parlement européen et du conseil du 20 mai 2019 mentionné ci-dessus, sa demande doit être effectuée auprès des offices nationaux pour lesquels le brevet de base correspondant est encore en vigueur. Il n’y a donc pas de procédure centralisée, comme pour l’examen d’un brevet européen, permettant d’obtenir un CCP pour les états contractants, et à fortiori pas de CCP communautaire européen.
L’octroi d’un CCP est soumis aux conditions cumulatives suivantes :
- Le produit objet du CCP doit être couvert par un brevet de base encore en vigueur ;
- Le produit a obtenu une AMM;
- Le produit n’a pas déjà fait l’objet d’un CCP ;
- L’AMM doit être la première AMM du produit en tant que médicament.
La protection par CCP est donc doublement subordonnée à un brevet et une AMM portant tous deux sur le produit candidat au CCP.
A-Limitations portant sur le produit
Le produit doit être l’objet de l’invention couverte par le brevet (Actavis CJUE C-433/12 07/03/13). Il n’est donc pas possible d’obtenir un CCP portant sur la combinaison d’une substance objet du brevet avec une autre substance du domaine public, même si cette autre substance est explicitement mentionnée dans les revendications du brevet de base.
Il est en outre établi que le CCP ne porte que sur les principes actifs, objets de l’invention brevetée, et non sur les adjuvants ou excipients. Une substance dépourvue d’effet pharmacologique propre ne peut être considérée comme un principe actif. Il incombe alors de démontrer que la substance visée produit un effet pharmacologique propre couvert par les indications thérapeutiques de l’AMM (Forsgren CJUE C-631/13 15/01/2015, M.I.T CJUE C-431/04 04/05/2006).
En ce sens, la portée de la protection par CCP peut être plus restreinte que celle conférée par les revendications du brevet. En particulier, un CCP ne peut avoir la même portée qu’une revendication basée sur une formule de Markush et couvrant un large champ technique.
Dans le cas d’un CCP portant sur une combinaison de principes actifs, tous les principes actifs sujets à la protection par CCP doivent être revendiqués dans le brevet de base (Medeva CJUE C-322/10 24/11/11). Il doit être en outre clairement établi que l’ensemble de ces principes actifs forment une composition. Seuls les produits ainsi mentionnés dans les revendications peuvent alors bénéficier d’un CCP, bien qu’une AMM portant sur une composition comprenant plus de produits que ceux de la composition revendiquée puisse être présentée pour l’obtention d’un tel CCP. Depuis l’application de ces dispositions, la Suisse a revu ses pratiques. Elle considérait initialement qu’un produit était couvert par un brevet, pour les fins du CCP, s’il entrait dans le champ de protection du brevet, sans qu’il ne soit pour autant nécessaire de le mentionner explicitement dans les revendications. Depuis l’arrêt du tribunal fédéral 4A_576/2017 « Tenofovir » du 11 juin 2018, il est nécessaire que les revendications fassent référence au produit objet du CCP, même implicitement, mais de manière non équivoque.
Inversement, un CCP ne peut être délivré pour un principe actif unique sur la base d’un brevet portant sur une composition de plusieurs principes actifs sans revendiquer isolément le principe actif candidat au CCP (arrêt Yeda C-518/10 25/11/11).
Sur ces derniers aspects, la protection conférée par le CCP est cohérente avec les principes généralement appliqués à l’examen des brevets, notamment en ce qui concerne la divulgation des éléments spécifiquement décrits ou découlant de manière évidente du contenu du brevet.
L’arrêt Eli lilly C-493/12 12/12/2013 précise que dans l’obtention d’un CCP, l’évaluation du produit objet de l’invention se limite exclusivement au contenu des revendications, éventuellement interprétée à la lumière de la description du brevet. Dans ce cas, si le produit candidat au CCP ne fait l’objet que d’une description fonctionnelle, il doit être clair que les revendications visent spécifiquement ce produit.
L’arrêt Eli lilly et d’autres arrêts visent à maintenir et renforcer l’harmonisation des pratiques au sein de la communauté européenne. À ce titre, l’évaluation de la portée des revendications ou les aspects liés à la contrefaçon sont exclus de l’examen du CCP, car ils peuvent être soumis aux disparités des droits nationaux.
Si l’on devait dégager quelques grands principes qui découlent des pratiques illustrées ici, nous pourrions conclure que d’une manière générale :
- Le CCP se limite à la protection de la substance active couverte par le brevet à l’exclusion de tout adjuvent, excipient ou additif. En cas de composition comprenant plusieurs principes actifs, des règles très strictes de divulgation spécifique sont appliquées, lesquelles peuvent s’apparenter aux dispositions de l’article 123 CBE. Le CCP ne permet pas d’inclure dans le champ de sa protection des éléments qui ne sont pas spécifiquement revendiqués et partie intégrante de l’invention objet du brevet. Les éventuels éléments du domaine public sont donc exclus du champ de protection.
- Bien que reposant sur des brevets nationaux, le CCP reste indépendant d’une quelconque interprétation de la portée des revendications, sujette à des disparités nationales.
B-Limitations relatives à l’AMM
Le produit candidat à la protection par CCP doit être couvert par une AMM, laquelle stipule la nature du produit actif ou de la composition qui produit l’effet thérapeutique. L’AMM précise en outre l’application thérapeutique du produit. Le CCP limite donc à priori la protection au principe actif dans le cadre de son utilisation thérapeutique autorisée par son AMM. L’AMM attribuée au produit doit en outre être la première AMM.
Pourtant, d’après l’arrêt Yissum C-202/05 17/04/07, dans l’hypothèse où le brevet de base protège un second usage médical, cet usage ne fait pas partie de la définition du produit. Le produit mentionné dans les règlements n°1768/92 et (CE) N°469/2009 sont interprétés au sens strict de substances actives, indépendamment de leur application thérapeutique. Selon cette approche, il n’y a pas lieu de limiter la protection conférée au produit à l’application thérapeutique couverte par l’AMM correspondante. Le CCP couvrirait en principe le produit et toutes ses applications thérapeutiques. Si l’on admet que la portée du CCP ne peut être plus large que celle du brevet, le CCP devrait en principe couvrir toutes les applications thérapeutiques couvertes par le brevet de base correspondant. En conséquence, aucun autre CCP portant sur le même produit ne peut plus être obtenu.
Il résulte effectivement de l’arrêt Yissum qu’un CCP ne peut être obtenu sur un produit pour un second usage médical si une première AMM a déjà été attribuée pour le même produit.
L’arrêt Neurim Pharmaceutical C-130/11 19/07/12 contredit cette approche et stipule au contraire que la première AMM nécessaire pour l’obtention d’un CCP correspond à l’AMM délivrée pour l’utilisation thérapeutique faisant l’objet du brevet de base pour lequel le CCP est sollicité. Les éventuelles autres AMM portant sur d’autres utilisations thérapeutiques ne sont alors pas jugées pertinentes dans l’évaluation de la première AMM. Cette seconde position semble plus en phase avec l’objectif initial du CCP de compenser les préjudices du breveté relatifs à l’obtention d’une AMM, même dans le cas d’un second usage médical. Le débat reste cependant ouvert quant à la pertinence d’attribuer une succession de protections supplémentaires pour un produit ayant déjà bénéficié de la protection d’un CCP pour un premier usage médical. À l’instar des stratégies brevets visant à retarder l’apparition des génériques et biosimilaires, les CCP pourraient ainsi prolonger successivement le monopole pour plusieurs usages médicaux. L’arrêt Neurim semble plus cohérent que l’arrêt Yissum avec les dispositions légales de la convention européenne sur le brevet quant à la protection d’un second usage thérapeutique. Un brevet pouvant être délivré pour un second usage thérapeutique, il est à priori raisonnable de pouvoir l’utiliser comme brevet de base pour l’obtention d’un CCP.
Cependant, cette approche ne semble pas devoir s’appliquer aux nouvelles formulations de substances déjà connues ayant fait l’objet d’une AMM. L’arrêt Abraxis C-433/17 21/03/2019 précise qu’une AMM portant sur une nouvelle formulation d’une substance ayant déjà fait l’objet d’une AMM ne peut être considérée comme étant la première AMM relative au produit. Il en découle qu’une telle nouvelle formulation ne peut bénéficier d’un second CCP. L’arrêt Abraxis diverge apparemment de l’arrêt Neurim Pharmaceutical, même si formellement les arrêts Neurim et Abraxis relèvent de considérations distinctes, l’un étant relatif au second usage médical et l’autre à une nouvelle formulation de produit. L’arrêt Abraxis reste cependant cohérent avec le sens conféré à l’expression « produit » dans les arrêts Forsgren et Medeva mentionnés plus haut. Le produit se limite en effet au principe actif et exclut les éventuels adjuvants, excipients et autres substances n’ayant pas démontré d’effet thérapeutique propre. De ce point de vue, Abraxis confirme que dans une nouvelle formulation d’un produit déjà connu, le principe actif reste inchangé, ce qui justifie qu’il ne bénéficie pas d’une nouvelle prolongation de protection par CCP.
Nous retenons qu’à l’heure actuelle, un CCP sur une nouvelle formulation d’un produit ayant déjà obtenu une AMM est proscrit, alors même qu’un brevet portant sur une telle nouvelle formulation peut être délivré. De ce point de vue, le CCP ne s’inscrit pas totalement dans la continuité des pratiques appliquées dans l’examen d’une demande de brevet. Nous pouvons prévoir que les nouveaux régimes de dosages, bien qu’ils puissent faire l’objet de brevets en Europe, risquent de ne pas pouvoir être couverts par un CCP. Il s’agit en effet du même produit, selon le sens donné dans les règlements.
C-Autres limitations
Le règlement (UE) 2019/933 du parlement européen et du conseil du 20 mai 2019, modifiant le règlement (CE) n°469/2009, vise à préserver les intérêts des producteurs de génériques et de biosimilaires par rapport à la protection conférée par les CCP. L’adoption de la protection par CCP depuis 1992 ayant contribué à exporter les productions de génériques hors du territoire européen, des aménagements sont appliqués via le règlement (UE) 2019/933. En particulier, les producteurs de génériques et de biosimilaires sont autorisés à fabriquer et stocker les produits contenus dans les médicaments couverts par un CCP, en attente de son expiration. Les producteurs de génériques et de biosimilaires sont également autorisés à fabriquer un produit ou un médicament contenant ce produit à des fins d’exportation vers des pays tiers où la protection par CCP est échue ou inexistante. Ces exceptions restent strictement encadrées et obligent en particulier le producteur de génériques ou de biosimilaires à notifier les autorités de ses activités de production dans des délais prédéterminés. Le titulaire du CCP correspondant est également averti des activités du producteur de génériques ou de biosimilaires et peut en vérifier la conformité avec les dispositions de ce règlement, qui restent finalement très contraignantes pour le producteur de génériques candidat. Cette concession consentie aux producteurs de génériques et de biosimilaires, encore timide et assortie d’un contrôle strict, met en exergue la volonté de ne pas affaiblir outre mesure la protection par brevets et par CCP, et de préserver leur intérêt incitatif pour la recherche et le développement de nouveaux médicaments.
III. Conclusion
Le CCP, initialement instauré pour préserver les intérêts de l’industrie pharmaceutique sur le territoire européen, a ensuite fait l’objet d’exceptions à l’avantage des producteurs de génériques. Ce panorama illustre la difficulté de maintenir le subtil équilibre entre de multiples intérêts, ceux des industries pharmaceutiques, ceux des producteurs de génériques et de biosimilaires, et ceux du marché européen qui tend à maintenir sur son territoire les ressources nécessaires en termes de santé publique et en terme d’activité économique. À la lumière de la pandémie du coronavirus qui frappe l’Europe et le reste du monde, les enjeux liés à la santé publique prennent toute leur dimension stratégique, et avec eux ceux de la protection des produits pharmaceutiques par des titres de propriété intellectuelle.
Mandataire Euopéen